EN IMAGES – À l'occasion du cinquantième anniversaire du prêt-à-porter masculin des créateurs, dix-sept collaborateurs du Figaro ont accepté de se glisser dans les pièces phares de l'automne-hiver 2018-2019.
MARTIN COUTURIÉ (à gauche) / RÉDACTEUR EN CHEF DU SERVICE SPORT DU «FIGARO» QUOTIDIEN. Manteau en laine, Berluti. Veste trois boutons en pied-de-poule laine et cachemire et pantalon en velours côtelé, Brunello Cucinelli. Pull ras de cou en cachemire et foulard rayé en soie et laine, Bottega Veneta. Chapeau en feutre, La Chapellerie Clandestine. CYRILLE VANLERBERGHE / RÉDACTEUR EN CHEF DU SERVICE SIENCES ET MÉDECINE DU « FIGARO » QUOTIDIEN. Trench Heritage Westminster en coton, Burberry. Costume croisé à rayures tennis en laine et chemise en coton, Boss. Pull à col roulé torsadé en cachemire, Eric Bompard. Chapeau en feutre, La Chapellerie Clandestine. Patrick Swirc
Des mannequins de «premier choix»! Dans le jargon d'une série photo, l'expression ne fait pas référence à la plastique des modèles, mais à leur disponibilité et à leur accord sans réserve de se prêter à cet exercice. Voici donc dix-sept «premiers choix», travaillant dans la vraie vie au Groupe Figaro, qui ont accepté volontiers de porter les pièces phares de cet automne-hiver à l'occasion du cinquantième anniversaire du prêt-à-porter masculin des créateurs. D'aucuns ont même dit oui avant de vérifier leur agenda et connaître la date de cette prise de vue avec Patrick Swirc.
Signe fort que le style, ses tendances, ne les laissent pas de marbre. Au 14 boulevard Haussmann, siège du journal, il y a aussi Alexis, Charles, Cyril, Étienne, François, Gaétan, Guillaume, Henri, Imed, Loïc, Olivier, Pierre, Sacha, Sylvain, Vincent et bien d'autres qui auraient pu faire partie de ce casting, tant ils veillent, eux aussi, à leur look sans en faire trop.
L'homme se soucie davantage de son apparence, donc. Nous, journaux, le rabâchions depuis des années, voire des décennies. Les statistiques et les chiffres le prouvent depuis plus récemment. À quand remonte cet intérêt véritable? «Cela date de la naissance de l'iPhone, c'est-à-dire il y a dix ans, tranche Pierre Mahéo, le fondateur de la griffe Officine Générale qui les habillent au quotidien depuis 2012.
Avant, je n'ai pas souvenir d'une foule de curieux à l'entrée des défilés, de passionnés qui connaissent les vêtements sous toutes leurs coutures au point d'en faire des blogsou de ces gars qui peuvent camper une nuit devant une boutique afin d'être les premiers à s'offrir la dernière collaboration d'un designer branché. Via ce médium, la mode a pris une place beaucoup plus importante dans nos vies.
Tout passe aujourd'hui par l'image. Celles que tu reçois et, aussi, celles que tu renvoies. On pensera ce que l'on voudra des selfies, mais le phénomène a poussé tout le monde à se présenter sous un meilleur jour. Personne sur Instagram ne s'affiche avec le vieux tee-shirt dans lequel il a dormi. En toutes circonstances, du matin au soir, à longueur de semaine, la façon de se présenter est désormais importante. Et puis, dans notre société où la concurrence est rude, où chacun doit faire preuve de personnalité pour avancer, s'habiller est aussi une manière de se différencier.»
Nino Cerruti est le premier créateur à s'être sérieusement penché sur la question, en 1968, un an après avoir installé son studio à Paris.
Aujourd'hui détaché de la marque de prêt-à-porter qui porte toujours son nom, l'aîné des designers garde un œil vif sur le sujet. «Longtemps, l'habillement a été une façon de se conformer aux autres. Dès qu'on en avait les moyens, on cherchait à suivre la tendance. Aujourd'hui, c'est une manière d'être soi-même, analyse l'octogénaire italien toujours d'une classe folle. Nombreux n'étaient pas nés pour s'en souvenir, mais jusque dans les années 1950, les hommes se tournaient vers un tailleur de proximité lorsqu'ils étaient amenés à porter leur premier costume et, après, ils ne changeaient ni d'artisan ni de coupe pour le reste de leur vie. Ensuite, il y a eu cette fameuse collection cosmonaute de Cardin à l'aube des sixties. Ses propositions étaient complètement abstraites mais elles ouvraient une porte.
En parallèle, une révolution sociétale a commencé à germer sur bien des fronts. Les vêtements ont naturellement, et comme toujours, suivi. Une liberté, quelque chose de plus informel et égalitaire, a envahi les esprits. Yves Saint Laurent a décrété la parité avant tout le monde avec son premier smoking pour femme en 1966. Côté homme, cette liberté m'a incité à lancer l'idée d'une garde-robe pour diverses occasions, à offrir davantage d'options et de possibilités que la sempiternelle tenue façonnée par un artisan de quartier.»
« Désormais, tout va plus vite avec Internet »
Nino Cerruti
À l'époque, Nino Cerruti finit de se convaincre à la lecture d'une étude du psychologue et spécialiste du marketing Ernest Dichter, considéré comme le père des recherches sur la motivation. Publié en 1966, ce document sur l'habillement masculin indique que ce marché atone – par rapport à son pendant féminin déjà en pleine révolution -, est promis à un bel avenir.
Au cœur des années 1960, il y a aussi une concurrence en provenance des États-Unis qui promet un triste sort à la Lanificio Fratelli Cerruti façonnant des belles draperies depuis 1881: le ready to wear. Cette nouvelle offre de vêtements prêt-à-porter en tailles standardisées, à essayer et à emporter sur-le-champ plutôt que d'attendre des semaines qu'un tailor vous confectionne un complet sur-mesure, a absolument tout pour séduire les hommes pressés.
Pour preuve, Nino Cerruti observe déjà que les commandes des artisans-tailleurs fondent comme neige au soleil. Non loin de Biella, dans ce berceau de la draperie italienne, Aldo et Angelo Zegna constatent également une chute significative des ordres auprès du tissage hérité de leur père. Ils ne tardent donc pas à diversifier l'activité de l'entreprise dans la confection et lancent, également en 1968, une griffe éponyme qui deviendra le leader mondial actuel du prêt-à-porter du luxe masculin.
Les tendances masculines ont toujours pris leur temps pour descendre dans la rue.
À New York, l'année précédente, Ralph Lauren commence à créer des cravates. Bientôt, il dessinera des vêtements. De l'autre côté de la Manche, en marge du Swinging London, c'est une femme – Margaret Howell -, qui est la première à s'intéresser, en 1970, à l'habillement formel via les chemises, puis, l'intégralité du dressing. Paul Smith qui possède alors une boutique à Nottingham, se fournit chez elle. En 1976, il prend à son tour des crayons (de couleur) et s'improvise designer avec une parfaite connaissance du marché.
Il dévoile sa première collection à Paris où se tiennent quelques défilés masculins. Mais ne constituent pas encore une réelle Fashion Week. À Milan, deux ans plus tôt, un ancien assistant de Nino Cerruti lance sa marque. Il s'appelle Giorgio Armani et entreprend d'assouplir la construction intérieure du costume italien. Demain, ses coupes s'avéreront si modernes qu'elles auront une incidence sur l'allure masculine… pendant deux décennies.
La grande rupture suivante ne voit le jour qu'au début des années 2000 avec Hedi Slimane chez Dior Homme qui affûte toutes les lignes du dressing… Si bien que toute une profession se met au diapason de sa mode slim jusqu'à son départ en 2007.
Les tendances masculines ont toujours pris leur temps pour descendre dans la rue. «Désormais, tout va plus vite avec Internet, s'enthousiasme Nino Cerruti. Avant, les considérations vestimentaires étaient réservées aux hommes fortunés. Aujourd'hui, c'est l'affaire de tous et c'est naturel.» Pierre Mahéo lie également des changements de société à cette évolution. «Les hommes n'achètent plus par besoin mais par plaisir. C'est la grande différence. Cela tient aussi de la parité et de la redistribution des tâches au sein du couple. Avant, la femme faisait les courses du ménage et, par extension, le shopping pour toute la famille.
C'est un schéma ancien. Aujourd'hui, parce que tu t'intéresses à la mode et que tu achètes tes vêtements toi-même, tu es un mec normal. Et non plus l'inverse.»